Comment data et IA vont changer la chaîne de valeur de l'industrie

C'est de ce pas prudent et assuré qu'avance l'industrie dans l'adoption des technologies de rupture, notamment de l'intelligence artificielle.

Toutes les industries ne sont pas logées à la même enseigne. Tandis que l'Alliance industrie du futur (AIF) estime qu'il faudra « attendre entre dix et quinze ans pour que la digitalisation atteigne sa pleine maturité dans l'industrie aéronautique », le Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques, le Pipame, vient de placer les industries manufacturières, dont l'automobile, au deuxième rang des secteurs les plus affectés par l'intelligence artificielle, après celui de la santé.

 

Vincent Champain, économiste. - Gilles Rolle/REA

Sur son site de Cléon, qui fabrique et alimente toutes les usines de l'Alliance Renault-Nissan en boîtes de vitesses, moteurs essence et électriques, Renault a, par exemple, interconnecté ses différentes lignes de production pour plus de flexibilité. « La digitalisation a pour but de gagner en agilité et en réactivité à des points stratégiques du process, insiste le groupe. Suivi des composants pour la maintenance, gestion des consommations (matières premières, énergie, etc.), traçabilité de la pièce jusqu'à l'utilisateur final... Elle concerne tous les secteurs de l'usine. »

Maintenance prédictive

Mais, si le paysage industriel est contrasté s'agissant de l'adoption de l'IA, c'est surtout que l'industrie ne se digitalise pas comme n'importe quelle entreprise. Le Pipame précise qu'il y a dans ce secteur de « fortes contraintes de fiabilité, de sécurité et de sûreté qui se traduisent par des réglementations strictes ».

La prédiction automatique ne peut pas s'appliquer à certaines tâches industrielles. Dans les cas où les conséquences sont critiques notamment, il faut savoir conserver le contrôle. « Les algorithmes peuvent avoir des impacts considérables. Ce sont comme de nouveaux outils industriels. On doit savoir pourquoi on les a créés, dans quels objectifs, avec quelles données... pour pouvoir les réajuster si nécessaire. On a tendance à ne pas suffisamment les remettre en question, c'est pourtant très important ! » prévient Chantal Genermont, chief digital officer d'Enedis, en pleine transformation numérique avec son compteur communicant Linky.

Chantal Genermont, chief digital officer d'Enedis - Olivier Allard

Dans son groupe, l'IA est notamment utilisée pour faire de la maintenance prédictive. « Nous pouvons notamment anticiper les pannes et réagir plus vite », explique la CDO. C'est, en l'occurrence, le domaine où l'IA ne fait plus débat dans l'industrie. Elle aide à prédire les problèmes, à en diagnostiquer les causes et, surtout, à intervenir pour assurer la disponibilité des machines et éviter toute rupture de production ou baisse de la qualité.

Aussi, les capteurs ont-ils envahi les usines. Placés sur les machines ou les pièces en cours de fabrication, ils collectent quantité de données. Cet Internet industriel des objets (IIoT) fait, en outre, de l'industrie un secteur à très fort potentiel en matière d'intelligence artificielle.

Economies en ressources naturelles

L'IA est également utilisée pour réaliser des économies en ressources naturelles. Le député Cédric Villani avait estimé, dans son rapport présenté il y a un an, qu'elle était un outil formidable pour limiter l'impact de la consommation énergétique dans les industries. Le français Metron en a fait sa spécialité : l'entreprise fournit une plate-forme pour aider les sites industriels en ce sens. « Avec l'IA, la consommation d'énergie des industriels peut diminuer d'environ 15 % », affirme Vincent Sciandra, son CEO.

On retrouve encore ces technologies de rupture dans l'aide à la décision sur des questions stratégiques, commerciales, mais aussi dans la sécurité des sites industriels, grâce notamment à la reconnaissance faciale.

C'est plus long à déployer dans la logistique. Une supply chain est souvent le fait de plusieurs acteurs, avec des systèmes d'information différents. « Il faut gérer la complexité de la production, qui n'engage pas seulement l'usine, mais tous les fournisseurs en amont », confirme Elodie Maurin, responsable de la performance manufacturing du groupe PSA.

En outre, le partage et l'accès aux données tout au long de la chaîne de fabrication est une condition sine qua non pour gagner en flexibilité et savoir s'adapter aux demandes des clients. Vincent Champain, dirigeant d'entreprises de technologie, qui a notamment développé la filiale digitale de General Electric en Europe, estime que l'IA peut ainsi aider à tendre vers le sur-mesure, jusqu'à un certain point cependant.« On peut imaginer créer des offres personnalisées en fonction des attentes, mais uniquement sur des cas qui concernent suffisamment de clients. Sinon, on risque de manquer de données d'apprentissage pour l'IA. »

Doucement, mais sûrement donc, l'industrie française engage sa transformation profonde. Le Symop (Syndicat des machines et technologies de production) rappelle que l'âge moyen des machines des usines françaises est de 19 ans. Mais, selon une récente étude de l'Insee, publiée le 7 février dernier, les industriels français anticipent une augmentation de 10 % de leurs prévisions d'investissement en 2019. Le deuxième plus haut niveau de prévision depuis 1995.

Delphine Sabattier

Article original: https://www.lesechos.fr/thema/0600796635115-comment-data-et-ia-vont-changer-la-chaine-de-valeur-de-lindustrie-2249694.php